Chapitre 1 : La menace verte
Le monde exodite d'Haran. Colonisé depuis dix mille ans par des rescapés de la Chute, ce monde est couvert pour moitié d'une jungle épaisse, le reste de la planète étant immergé sous les eaux chaudes du Khaeviel Nar'La, l'océan unique. Dans de petites communautés isolées au sein de la jungle étouffante, quelques Eldars vivent de l'élevage des Mégadons et du commerce avec les pirates eldars qui sillonnent cette région galactique. Ayant renoncé à tous les luxes et les plaisirs que leur offrait la civilisation, ils vivent reclus, à l'abri de l'esprit corrupteur de Slaanesh, tout en profitant de la technologie avancée des vaisseaux-mondes. Depuis cinquante ans et la fin de la guerre qui opposa les exodites aux Kroots, la paix règne. Mais pour combien de temps ?
* * * * *
Le grand jour. C'était le grand jour. Nael'Mion allait enfin achever son initiation et devenir majeur. Un Chevalier Dragon.
Vingt années de sa vie voyaient leur aboutissement. Il allait passer le rituel de sang, se vêtir de son armure, et dompter le Mégadon sauvage.
Enfin, il pourrait défendre sa planète contre les envahisseurs.
Le jeune Eldar sortit de l'abri de moelle spectrale où il venait de passer trois semaines. Trois semaines pour apprendre à survivre dans la nature, et à entrer en communion avec elle, tel le fils d'Isha qu'il était. Il emplit ses poumons de l'air frais du matin. Le premier soleil d'Haran venait de se lever, et l'air, bien qu'humide, n'était pas encore aussi moite que quand le second soleil se serait levé. Les exodites avaient appris à profiter de ces quelques heures où la lumière brillait, mais où la température restait douce et agréable. Nael'Mion se mit en route vers la communauté exodite, se repérant grâce aux marques qu'il avait faites près d’un mois auparavant sur les hauts arbres de la jungle. Il se déplaçait avec agilité entre les hautes fougères, les plantes tropicales touffues et les lianes, et sans aucun bruit. On eut dit que ses pieds touchaient à peine le sol, car il ne fit pas craquer une seule brindille sous ses pas rapides.
Il rabattit la capuche de sa cape sur son visage. Il ne désirait pas être vu par un animal sauvage en quête d'une proie. Les disparitions mystérieuses s'étaient faites plus nombreuses depuis quelque temps. Les prédateurs s'enhardissaient, allant jusqu'à roder la nuit entre les hautes structures de la communauté exodite, et ceux qui osaient s'aventurer dans la jungle après que les deux soleils se soient couchés ne revenaient pas toujours. Certains racontaient même qu’une chose hantait la forêt, une créature maléfique sortie des cauchemars.
Nael'Mion n'avait pas eu à affronter de carnivores durant ces trois semaines. Il avait tout de même vu une créature terrible et majestueuse, au corps strié de rayures, seule, au milieu d'une clairière, le port altier et fier. Il s'était avancé vers elle, mais contrairement à ses craintes lorsqu'il avait vu ses griffes terribles, elle ne l'avait pas attaqué. Il avait même pu caresser un instant le doux pelage de la bête, avant qu'elle ne disparaisse dans les fourrés. Cette rencontre resterait gravée à jamais dans sa mémoire comme son premier contact avec la vie sauvage, et l'harmonie avec toute chose, précepte sacré des adorateurs d'Isha.
Un bruit derrière lui le fit cependant tressaillir, le sortant de ses pensées. Quelque chose était là. Et si c'était
la chose ? Nael'Mion se retourna et poussa un cri.
* * * * *
Sous les ombres de l'épaisse canopée d'Haran, trois mois auparavant.
La spore verte venait d'achever son voyage. Soufflée par les vents stellaires, ballotée à travers la galaxie, transie par le froid glacial du vide, elle avait enfin trouvé un lieu apte à l'éclosion. Un étang malsain au milieu d'une jungle humide. L'endroit rêvé pour implanter son code génétique de façon durable. La spore toucha l'eau brunâtre. Elle manqua d'être gobée par un poisson à quatre yeux, qui fut lui-même happé par une créature des marécages. Il en était ainsi sur Haran : la loi du plus fort prévalait sur toutes les autres. La spore était sauve et allait pouvoir commencer son oeuvre. L'unique cellule qui la constituait se dédoubla. Une première fois. Puis une seconde. Après douze jours, un minuscule amas verdâtre s'était formé. La vie prenait forme.
"RHHAAAAAAA !!!!"
La chose sortit de l'eau. Deux mois entiers. Il lui avait fallu deux mois entier pour absorber suffisamment de nutriments dans la bourbe infâme de l'étang, tout en se protégeant de l'appétit vorace des poissons et des créatures plus grosses qui hantaient le marécage. Mais c'était fait. Enfin. La chose poussa un cri de défi au monde qui l'entourait. Elle arrivait. Et elle n'était pas seule.
La chose renifla autour d'elle. Des milliards de particules odorantes atteignirent ses récepteurs sensoriels, activant de nouvelles zones de l'encéphale.
Elle prit conscience. Conscience d'être là. Conscience d'être née. Et conscience d'être née pour tuer.
"RHHHHAAAAAHHHHH !!!!! WAAAAAGGHHH !!!!"
Elle avait poussé son premier cri de guerre. L'invasion commençait.
* * * * *
Nael'Mion se trouvait en face d'une colossale créature à la peau-verte, manifestement hostile. Elle était vêtue de peaux de bêtes encore tachées de sang, qui ne dissimulait guère sa formidable musculature, et son faciès ne présentait pas le moindre signe visible d'intelligence.
"Par les dieux..."La créature hurla, dévoilant deux larges canines inférieures : "WAAAGGHH !!!"
Puis elle le pointa de son doigt épais avec un air mauvais.
"Toa po blan. Toa pa ork. Mé toa bon à mangé. Et moa faim ! Tré faim ! " Un sourire éclaira la face bestiale de l'Ork.
Avant même que l'Eldar n'ait eu le temps de dégainer la lame de son fourreau situé sous sa cape, le peau-verte avait bondi, tentant d'abord d'écraser son chétif adversaire sous sa masse imposante, technique de chasse qui s'était montrée particulièrement efficace face à ses précédentes proies. Nael'Mion esquiva avec habilité et, tandis que son adversaire s'écrasait lourdement au sol, il sortit sa lame et tenta d'embrocher l'Ork. Mais son épée n'était pas une lame énergétique, et il parvint à peine à érafler le cuir épais du peau-verte.
Celui-ci se releva, l'air furieux.
"Toa mal fé a moa ! Toa sal po blan ! Moa tué toa ! WAAAGGGGHHHHHHH !!!!!!! "
Il empoigna l'exodite de ses énormes bras. Celui-ci eut beau se débattre, il ne put lui faire lâcher prise.
"Mint'nan, moa mangé toa ! Croké la tét eud'po blan ! "
Mais avant qu'il n'ait pu mettre à son exécution son plan - pour le moins primitif - l'Eldar avait enfoncé sa lame au plus profond de sa gorge. L'Ork cracha une giclée de sang qui tacha la cape de l'Eldar et le lâcha, tentant vainement de retirer l'épingle plantée au travers de sa trachée. Tandis qu'il poussait des éructements pour se débarasser de l'épée, Nael'Mion avait retiré la cape, désormais en lambeaux, et qui entravait ses mouvements, et avait détalé vers la communauté.
* * * * *
"- Hé vou boyz ! Maté sa !"
L'Ork de retour de mission de chasse rassembla autour de lui le petit groupe d'habitants des marécages de sa voix puissante. La plupart éateit inquiets : mieux valait ne pas affronter la fureur du chef lorsqu’il revenait bredouille. Mais un grot particulièrement curieux éleva la voix :
" - Kesksé, boss ?
- Sé eud'la kultur ! répondit-il fièrement en exhibant l'épée pliée en deux, qui'il avait réussi à déloger de son gosier après de longs efforts.
- E kesksé "kultur", boss ?
- Té toa, nabo ! Smoa ki parl !"
Le boss assomma l'insolent d'un coup de poing magistral, qui le projeta jusqu'à un étang grouillant de créatures vertes. En quelques minutes, le corps de malchanceux fut dévoré, sa carcasse vidée, et ses os blanchis par un amas frétillant d'Orks en formation.
"Unp eud'viand sé bon pour p'ti boyz ! "
L’énorme créature ricana. Aussi étrange que cela puisse paraître, une idée venait de germer dans son crâne atrophié.
" ‘Kouté moa bien !Mint'nan, zallé var sksé kun boss ! Si chassé pa pour moa, moa zvou étrip à kou eud'kultur !"
Et pour illustrer ses paroles, il ficha la lame dans la jambe de l'Ork le plus proche qui poussa un cri de douleur.
" Aïe ! Fé mal, boss ! Kultur arm'téribl ! Nou chassé pour toa, é tué po blan ossi ! "
Le boyz retira l'épée de sa jambe et la brandit en l'air.
"WAAAAGGHHH !!! Mor o po blan !"
Le cri de guerre fut aussitôt repris par tous.
"WAAAAAGGGGGGHHHH !!!!!! "
* * * * *
"Je... Toi, mon frère... ici..."
Nael'Mion, essoufflé par sa longue course à travers la jungle, venait de tomber sur Kil'Aethos, Ranger arrivé sur Haran depuis une trentaine d'années et plus ou moins intégré dans la société exodite.
"Silence, je traque l'haraïa.", lui répondit-il en un murmure.
"…Il est parti, maintenant, dit-il en soupirant. Tu l'as effrayé. Que veux-tu ?
- Je... je suis désolé... pour l'haraïa... Mais un danger nous guette...
- Tu auras croisé un animal sauvage, rien de plus. La jungle est pleine de dangers, mais pourquoi veux-tu qu'aujourd'hui plus qu'hier elle nous menace ? Et à cause de ton raffut, j'ai raté l'haraïa."
L'haraïa était un reptile particulièrement rare et furtif, toujours aux aguets, et parfaitement dissimulé par ses écailles d'un vert sombre. Ramener vivant un haraïa était l'acte le plus émérite que pouvait accomplir un chasseur, symbole de sa patience, de sa ruse et de ses facultés d'observation. Kil'Aethos savait pertinemment que s'il n'avait jamais été complètement accepté par les exodites, c'est parce qu'il n'avait encore jamais réussi à venir à bout de cette épreuve.
"- Je suis vraiment désolé, Kil'Aethos, mais une créature a essayé de me dévorer. Une créature douée de parole, du moins capable de s'exprimer de façon plus ou moins rudimentaire. Sans doute est-ce la chose qui rôde la nuit à la recherche de proies.
- Quoi ? Que dis-tu là ? Es-tu sûr de tes affirmations ? Tu sais pourtant que tous les Kroots de cette planète ont été éradiqués depuis cinquante ans ! Il est impossible que …
- Je le sais bien, les anciens l'ont assez raconté. Mais cette chose ne ressemblait pas aux descriptions qu'on nous a données de ces créatures. Elle était colossale, sa peau était vert clair et je crois qu'il se dénommait lui-même "ork".
- De... Non, c'est impossible... Peux-tu le confirmer ?
- Je ne saurais le prouver, mais c'est bien ce que j'ai vu et ce que j'ai entendu.
- Ne perdons pas de temps, il faut immédiatement avertir la communauté ! L'invasion a commencé..."
* * * * *
"- Tien boss, v'la skjé chassé pour toa."
Un Ork, l'échine courbée, et portant sur son dos la carcasse d'un animal proche du sanglier, s'agenouilla humblement devant le boss en déposant son offrande.
"- Sé tou ? Plus eud'viand ! T'enten, fégnas ? M'fo plus eud'viand !"
Il flanqua une baffe magistrale à l'autre Ork.
" Tiro flan ! Kisé l'plu for ? Sé moa alor m'fo plus eud'viand ! Sé l'plu for ki fé la loa ! Gar à la kultur !"
Il brandit l'épée en signe de menace.
"Hé vou zot ! "
Le boss se tut un instant pour réfléchir avant de se lancer dans son discours. Réfléchir. Voilà qui n’était ni commode ni commun pour un Ork. Pourtant, depuis sa rencontre avec le "po blan " et la "kultur", certaines fonctions de son cerveau s’étaient activées. La communication avec un être supérieur s’était révélée le meilleur stimulant pour ses neurones engourdis, et le boss commençait à se sentir plus fort, car plus intelligent. Le pouvoir que lui avait conféré l’épée sur les boyz avait aussi beaucoup fait pour lui. L’autorité, donc les responsabilités, avaient dégagé un potentiel difficilement imaginable chez un Ork sauvaj’. Son langage s’améliorait, et lui-même se rendait compte de l’emprise qu’il pouvait avoir sur ses congénères par sa simple parole, et sans même avoir à se servir de sa force. Ce qu’il lui fallait, désormais, c’était un nom, un nom capable de faire trembler de peur ses ennemis.
"- Keskia, boss ?
- Zvou kose o non eud’la kultur, ka tou chamboulé !
L’Ork était très fier de sa phrase. Elle lui semblait constituer une excellente entrée en la matière.
- Zvou kose o non eud’la kultur, ka fé ksé moa l’plu for eud’vouzot ! Sé moa l’boss eud’la kultur, é mint’nan v’zalé m’apelé Khurtz le Gran ! Oué, sé sa, Khurtz le Gran !
- E pourkoi ktu ve kon t’appel com sa, boss ?
Pas facile de trouver une explication pour ses congénères sous-évolués. La raison du plus fort lui sembla la meilleure.
- Pask’sé moa l’boss, é k’vou dvé fer tou eu’ske zvou kose ! Chui le boss Khurtz le Gran, é zvé pa me léssé fer par dé sal nabo !!! Lé po blan i von voar kiksé Khurtz le Gran, le boss eud’la kultur ! WAAAAGGGHH !!!! Préparé plus eud’spore, sa va fer mal !!! "
Son ordre fut aussitôt exécuté par la centaine de boyz.
" Pour sur, i von r’grété d’mavoar filé la kultur, sé po blan… "